Flexn est de retour en France à la Villette (la première française s’était déroulée au Festival de Marseille en 2016). Ce spectacle détonnant et joyeux de Reggie ( Regg Roc ) Gray et Peter Sellars où l’on découvre une troupe de danseurs de Brooklyn, tous adeptes du flexing, un nouveau phénomène de danse à la croisée du R’n’B et du hip-hop, inspiré par le bruk-up jamaïcain et le son des clubs reggae.
Ce spectacle est aussi un engagement pour Peter Sellars en réponse aux injustices subies par la communauté Afro-Américaine. Ces jeunes racontent leur vie sur scène au rythme d’une bande son inouïe de Eminen à James Blake en passant par Justin Timberlake. Le public de la Criée, très mélangé, a réservé une ovation à ces danseurs très touchants, à la technique invraisemblable.
Rencontre avec un metteur en scène généreux et bouillonnant, c’était en juin 2016 à Marseille, deux ans après, les propos sont toujours d’actualité !
Comment s’est déroulé votre rencontre avec ces danseurs ? Vous les avez rencontrés par hasard alors que vous répétiez un opéra à New-York ?
Oui j’étais au Park Avenue Armory pour répéter La passion selon Saint Mathieu et ces jeunes étaient dans le bâtiment. Ils m’ont présenté leur travail. J’ai tout de suite été étonné par leur technique, par leur intensité et par leur générosité. C’est très rare dans toute l’histoire de la danse d’observer qu’elle n’est pas simplement décorative ou géométrique. Ici elle est capable de franchir des émotions subtiles et complexes. Au milieu du 19ème il y a eu le Gisèle d’Adolf Adam où la danse était capable d’exprimer la vie des paysans déprimés. Et avec le Flexn on découvre un nouveau vocabulaire capable d’exprimer la vie des quartiers. C’est drôle, rigolo, étonnant, tendre, profond et touchant.
Ces danseurs ont la particularité de posséder une très grande technique mais aussi d’avoir vécu des émotions très fortes dans leur vie personnelle.
Oh oui, dans la distribution il y a un danseur qui s’appelle Cal. C’est pour moi le nouveau Barychnikov. Il possède une grâce et une intensité. Avec un seul petit mouvement d’épaule il parvient à vous électriser. C’est le nouveau Micha, mais il ne vient pas de Riga, il vient de Brooklyn ! C’est un ancien militaire qui a combattu en Irak. Il danse avec son expérience. On l’imagine sauter avec son parachute, c’est incroyable ! Tous ces danseurs possèdent une vie intérieure très riche que l’on sent sur le plateau. Et du coup le spectacle est différent chaque soir. On ne peut pas arriver à cela avec les ballets classiques ou les créations contemporaines.
A travers les expériences de vie des uns et des autres, vous avez conçu une dramaturgie. Le spectacle raconte l’histoire des Afro-Américains, de l’esclavage aux récentes fusillades contre la communauté noire.
Il fallait dans cette période très trouble aux États-Unis, alors que les coupables des tueries sont exonérés ; dénoncer le déséquilibre du système judiciaire américain. Les jeunes noirs sont confrontés chaque jour à ce système. Alors on y met de l’humour et de la distance. On ne fait pas que se plaindre car il faut être plus intelligent que l’ennemi. On a placé le spectacle en dehors de la rhétorique sur le racisme pour ne pas se faire piéger. La danse permet de dépasser les clichés. On montre des êtres humains splendides.
Si ces jeunes n’avaient pas fait de la danse dans la rue, ils auraient pu sombrer dans la délinquance.
Oui et tout ce qui est dansé sur scène raconte leur vécu dans la rue. Au départ du projet je leur ai demandé de me livrer des anecdotes sur leur vie au travail, leur rapport avec les flics ou la justice…Tous les récits viennent d’eux. Je n’ai rien inventé. C’est un « vulcano ». C’est incroyable et ça vient des quartiers là où l’on imagine qu’il ne se passe rien.
L’Europe est en crise, crise identitaire, crise politique avec le Brexit des Anglais, l’Europe est attaquée par le fanatisme, comment de New-York vivez-vous ces évènements ?
C’est horrible ! L’Europe ce n’est pas le passé. L’Europe est déjà africaine, elle est déjà marocaine ! C’est ça votre futur ! C’est triste avec la tuerie du Bataclan de voir que quelques jeunes français ne se sentent pas d’ici. Tous ces jeunes de banlieue ne vivent pas dans le désert. Leur culture est florissante, il faut les écouter en imaginant un nouveau système éducatif en partant de leur expérience et de leur propre langage. On est capable de vivre ensemble, c’est la preuve ici à Marseille ! Votre culture est composite depuis le 12ème siècle. C’est la richesse de la Méditerranée.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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